mardi 1 novembre 2011

Conférence sur les religions - Le dalaï-lama défend le fait religieux


Le dalaï-lama a volé la vedette hier lors de la seconde Conférence mondiale sur les religions du monde après le 11 septembre 2011 où, comme les autres conférenciers, il a défendu le fait religieux dans lequel plusieurs voient la cause des fameux attentats.

La conférence, dont le thème était «La paix par la religion», a été l'occasion de formuler plusieurs mises en garde contre les généralisations qui font de l'islam et de tous les musulmans des responsables de cette tragédie.

Le chef spirituel tibétain a tenu son discours habituel sur la compassion et la tolérance, communes selon lui au lamaïsme tibétain et aux autres systèmes de croyances, mais il a également critiqué de façon très virulente la corruption, une plaie qui suscite un intense débat dans l'Inde où il vit en exil, et le système judiciaire de la Chine, qui occupe son pays d'origine depuis 62 ans.

«Partout on observe une corruption immense, même en Inde où les traditions religieuses sont pourtant fortes. Quelle en est la source? Un manque de discipline et de principes moraux. La corruption est une sorte de nouvelle maladie sur la planète. Nous ne devons pas croire qu'elle fait partie de la nature humaine», a affirmé le dalaï-lama.

Le chef tibétain, qui a renoncé récemment à ses prérogatives politiques, a par ailleurs appelé la Chine à se démocratiser graduellement et à mettre fin immédiatement à la censure. «Le peuple chinois a le droit de connaître la vérité. Il a la capacité de juger de ce qui est bien et de ce qui est mal, a-t-il plaidé. Donc, la censure exercée par le Parti [communiste] est immorale. Le système judiciaire doit devenir indépendant», a-t-il ajouté.

La conférence d'hier réunissait, sous les auspices des universités McGill et de Montréal, des intellectuels et des praticiens du christianisme, du bouddhisme, du judaïsme et de l'islam.

«Le 11-Septembre aura au moins eu le mérite de rapprocher les leaders et les communautés religieuses partout à travers le monde, a noté Patrice Brodeur, professeur à l'Université de Montréal et un des organisateurs de l'événement. Un des buts principaux de cette conférence est de montrer comment des personnes ancrées dans diverses traditions arrivent à articuler l'importance du rapprochement religieux.»

La conférence réunissait aussi Deepak Chopra, médecin et auteur indien, Robert Thurmann, professeur en études tibétaines à l'Université Columbia, Steven Katz, professeur de religion à l'Université de Boston, Gregory Baum, professeur de religion à l'Université McGill, et l'intellectuel musulman Tariq Ramadan, professeur à l'Université Oxford.

La présence de ce dernier, dont certains propos, notamment sur la lapidation, ont suscité la controverse dans le passé, a été critiquée par l'organisation Point de bascule, qui s'oppose à l'islamisation présumée de la société.

Le site Internet de ce groupe a également critiqué le fait que la conférence devait discuter d'un projet de «Déclaration universelle des droits de la personne par les religions», dont un article stipule: «Chacun a le droit que sa religion ne soit pas dénigrée dans les médias ou dans les maisons d'enseignement». Un groupe d'intellectuels, dont l'auteure bangladaise Taslima Nasrin, ont signé une lettre dénonçant la démarche des responsables de la conférence, dans laquelle ils voient une attaque contre la liberté d'expression, à la limite une porte ouverte sur la criminalisation du blasphème.

Interrogé à ce propos, M. Ramadan a déclaré: «Il est juste, quand on a affaire à un Noir, à un juif ou à un musulman, de pouvoir le critiquer parce qu'il est malhonnête, parce qu'il ne tient pas parole ou parce que ses principes peuvent nous surprendre. Il est inacceptable de critiquer cette personne pour le seul fait qu'elle soit noire, juive ou musulmane. [...] La critique d'un être pour ce qu'il est, cela s'appelle du racisme et de la xénophobie et c'est inacceptable, mais la critique d'un système de croyances est légitime et elle doit faire partie de la liberté d'expression.»

jeudi 20 octobre 2011

Le Québec dans les archives secrètes du Vatican


Des chercheurs recommencent à fouiller les très, très riches archives secrètes du Vatican. Surprise! Ils y découvrent des choses cachées qui concernent le Québec, depuis la fondation de la Nouvelle-France jusqu'à la Révolution tranquille.

Quelle métropole a eu la plus grande influence sur le Québec? Paris ou Londres? New York ou Rome? Et pourquoi pas toutes ces villes?

«Grosso modo, ces quatre métropoles ont structuré notre société jusqu'à 1970-1980», explique le professeur de sociologie Jean-Philippe Warren, titulaire de la Chaire d'histoire sur le Québec de l'Université Concordia. «La France est la métropole pour la langue, les traditions populaires, le folklore et la grande culture, les idées, les livres, les arts; la métropole britannique a donné au Canada français ses institutions politiques; ensuite, New York va fournir la culture de masse envahissante très rapidement, dès la fin du XIXe siècle; puis la quatrième métropole, c'est Rome, avec le Vatican, qui apporte la religion et, à travers elle, bien d'autres considérations parareligieuses, qui touchent à l'éducation, au droit, au politique, au social.»

Et alors? Et alors, ce simple constat change la perspective sur la petite colonie réputée fermée comme un ciboire dans un tabernacle. «On colporte toujours le cliché de la société québécoise tricotée serré et frileuse, repliée sur elle-même et traditionnelle dans une Amérique ouverte, moderne et progressiste, poursuit le professeur. Ce qui me frappe plutôt quand j'étudie cette histoire, c'est le métissage mondial. Et ce qui me frappe aussi, c'est que les historiens n'ont pas encore construit une vision d'ensemble, notamment de la dynamique vaticane.»

samedi 12 mars 2011

Frank Zappa et l'utopie Internet: «They're only in it for the money»

Sur la page d'accueil du réseau social Internet Facebook, au-dessus du formulaire d'inscription, on peut lire: «C'est gratuit, et demeurera ainsi.» Gratuit, vraiment? Mais à quel prix? Celui de nos renseignements personnels? Ou celui de l'insignifiance?

Quand j'utilise Facebook et d'autres plateformes Web 2.0, je me prends à rêver que le compositeur américain Frank Zappa (1940-1993) est encore des nôtres. Son regard sarcastique sur la société américaine aurait sûrement provoqué des accrochages avec les zélés du tout-numérique qui sévissent dans la Silicon Valley depuis le milieu des années 1990. Zappa aurait été très heureux d'exploiter la distribution de musique à la pièce et le commerce électronique (il en rêvait dès le début des années 1980), tout en se méfiant comme de la peste des «gourous» d'Internet. Il les aurait probablement parodiés, avec ce talent pour la satire qui le caractérise si bien.

Pour mieux apprécier la pensée de cet artiste hors normes (qui n'était pas un philosophe au sens strict, mais il lui arrivait de philosopher), une petite mise en contexte s'impose.

L'opinion publique et les médias entretiennent une image fragmentaire et superficielle de Frank Zappa: icône moustachue des années 1960-1970, guitariste rock bruyant, bouffon provocateur et vulgaire... Il fut pourtant le plus important compositeur américain de la seconde moitié du XXe siècle, tous genres confondus (rythm'n'blues, rock, chanson, jazz, électroacoustique, électronique, musique de chambre et symphonique, etc.), et l'un des plus prolifiques, avec une soixantaine d'albums. Il mourut prématurément en 1993 (emporté par un cancer), peu de temps après avoir complété l'un de ses chefs-d'oeuvre, l'opéra électro Civilization: Phaze III.

Ce génie polyvalent (ou polyvalent de génie) a été chanteur, guitariste, percussionniste, claviériste, chef d'orchestre, ingénieur du son, producteur, scénariste et réalisateur de films, acteur, compositeur de bandes sonores pour le cinéma, journaliste, écrivain, conférencier, conseiller du premier gouvernement tchécoslovaque postcommuniste, et j'en passe. Un artiste «total», ou presque.

Toujours soucieux d'innover, Zappa conçut l'un des premiers albums-concepts de l'histoire de la musique pop (Freak Out!, 1966), le premier 33 tours réunissant formation pop, dialogues, collages, musique concrète et interprétation orchestrale (Lumpy Gravy, 1968) ainsi que les primes alliages du jazz et du rock (Uncle Meat et Hot Rats, 1969). Sa plus grande réussite: l'intégration du langage orchestral du XXe siècle dans la musique pop.

Zappa était aussi très technophile. Il a notamment réalisé en 1983 le premier enregistrement numérique multipiste d'un orchestre symphonique, le London Symphony Orchestra interprétant ses oeuvres sous la direction d'un jeune chef nommé Kent Nagano. La même année, il s'est offert un Synclavier, appareil numérique qui échantillonne, séquence et synthétise les sons. Quelques années de labeur sur le Synclavier lui suffirent pour signer un incontournable de la musique électronique, Jazz from Hell (1986).

Au début des années 1980, il a même conceptualisé en détail un système informatique-analogique de téléchargement de pièces musicales, par câble ou par téléphone équipé d'un modem. Il misait sur la disparition de l'industrie du disque vinyle au profit de l'enregistrement distribué à la pièce: «Les consommateurs de musique consomment de la musique [...] et pas spécialement des articles de vinyle dans des pochettes en carton», écrit-il dans son autobiographie, The Real Frank Zappa Book (1989). Un projet resté sans suite, malheureusement.

Zappa, quasi libertarien

Sur le plan politique, la pensée de Zappa est peu sophistiquée, mais assez originale pour échapper à toute classification. Sa personnalité artistique revendiquait une liberté de création et d'entreprise sans limite, quasi libertarienne, mais sa conscience citoyenne plaidait pour la justice sociale. «Une nation n'est réellement puissante que lorsque tout le monde récolte une part du gâteau. Je dis bien: tout le monde», écrit-il à propos des États-Unis dans son autobiographie. Il prônait un État au régime minceur et une cure fiscale, mais sans s'appuyer sur une idéologie de droite, son souci étant plutôt d'éliminer les passe-droits des plus riches et les injustices fiscales. «C'est notre propre code des impôts qui nous pousse au crime — 97 % de la population doit resquiller et arnaquer le fisc pour survivre.»

Son système politico-économique de prédilection, dit «conservatisme pragmatique», repose sur deux piliers, la cellule familiale et de petites entreprises indépendantes, et sur la liberté d'évoluer dans un contexte politique discret, aussi rationnel que possible, sans une once d'idéologie. Zappa vomissait les républicains, la droite catho et les yuppies, et aussi les idéologues de gauche. L'État, dans son esprit, n'est qu'un dispensateur de services, et ce sont les individus qui font la société. Ce Californien d'adoption croyait sincèrement à l'American dream: un travail passionné, intègre et soutenu finira par porter ses fruits, surtout s'il n'est pas entravé par les gouvernements ou par de grandes organisations privées qui contrôlent le marché — ayant subi à maintes reprises la censure des majors du disque, Zappa préférait se produire lui-même et contrôler presque toutes les dimensions de son art.

Dans cet état d'esprit, il n'accordait aucune crédibilité aux utopies révolutionnaires. Au milieu des années 1960, il fréquentait la mouvance freak de Los Angeles, frange de la jeunesse californienne plus individualiste et excentrique que les romantiques de San Francisco sur le point de donner naissance au mouvement hippie. Son disque Absolutely Free (1967), loin de célébrer l'insouciance béate des années 1960, cherchait une voie originale en rejetant tout conformisme social, politique et culturel. Au Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles, il opposa We're Only in It for the Money (1968), qui dépeint le mouvement hippie en rêverie naïve récupérée par le commerce. Devant les promesses de liberté et d'amour universels, Zappa brandissait l'exigence de l'autonomie intellectuelle et le droit à la dissidence («flower power sucks»).

À la fin des années 1970, les anciens hippies ont entamé leur métamorphose en yuppies. Ces arrivistes sont rapidement devenus la nouvelle tête de Turc de Zappa, qui y reconnaissait l'ineptie politique de la génération lyrique du Flower Power — ces boomers ont contribué à élire à la présidence des États-Unis le gouverneur de la Californie qui les persécutait dans les années 1960, Ronald Reagan!

Dès 1979, avec son album Sheik Yerbouti, Zappa s'est moqué de ces ex-révolutionnaires devenus banlieusards avachis. L'anti-hymne américain Bobby Brown Goes Down, par exemple, décrit l'ambivalence sexuelle d'un carriériste prêt à n'importe quoi pour briller en société. Dix ans après le Flower Power, la Californie est une société de surconsommateurs et de travailleurs paresseux; la chanson Flakes se paie la tête de Bob Dylan en client floué, réduit à fredonner une protest song pour se plaindre d'un mauvais service à la clientèle.

Toujours en 1979, l'opéra-rock Joe's Garage de Zappa évoque censure, État policier, prison et lavage de cerveau. La narration de Joe's Garage est assurée par Zappa dans le rôle du «central scrutinizer», caricature de Big Brother, qui persécute un adolescent musicien amateur. Joe's Garage préfigure le conservatisme des années 1980 ainsi que l'État irrationnel et paranoïaque instauré par George W. Bush dans les années 2000.

Pour Zappa, toute utopie révolutionnaire est un mirage. «Après la révolution, qui dirigera le service des égouts?», aurait-il demandé à des militants d'extrême gauche des années 1960 (une déclaration peut-être amplifiée par la légende, mais tout de même caractéristique de sa pensée). L'histoire lui a donné raison: les hippies sont devenus des cravatés, la jeunesse socialiste des sixties a élu les gouvernements de droite des années 1980, le communisme s'est effondré, le libéralisme ne tient jamais ses promesses de prospérité pour tous. Tandis que les gouvernements peinent à réaliser leurs tâches fondamentales (alphabétiser toute la population, assurer l'accès aux soins de santé de base), les révolutionnaires pètent de la broue.

Emballement pour les possibilités d'Internet...

Toute sa vie, Zappa a posé un regard critique sur son foyer, la Californie. Il appréciait le dynamisme de cet État à nul autre pareil tout en se gardant de succomber à ses supposées révolutions. S'il pouvait revenir d'entre les morts, les possibilités créatrices d'Internet l'emballeraient immédiatement, mais le discours exalté des personnalités «.com» de la Silicon Valley l'irriterait au plus haut point.

De dispositif technique, Internet est devenu une idéologie. Dès le milieu des années 1990, on nous a promis un monde meilleur, «société de l'information» égalitaire, transparente et autorégulée, qui nous libérerait des anciens carcans. Les nouveaux modes de communication sur Internet, qui ont marqué un indiscutable progrès, ont malheureusement été éclipsés par une récupération commerciale tous azimuts et une bulle spéculative (qui a éclaté au printemps 2000). L'utopie Internet connaît une deuxième vie depuis 2007 grâce au Web 2.0, ces plateformes Web dynamiques où les utilisateurs publient du contenu (sur les blogues, notamment) et tissent des réseaux sociaux grâce à Facebook, MySpace, Twitter, etc.

Ces dernières années, plusieurs observateurs ont souligné les parallèles entre le Web 2.0, le mouvement hippie et l'idéal communiste: mêmes communautés pétries d'amour pour leur prochain, même mépris des élites, même refus de la hiérarchie et des classes sociales. Le Web 2.0 est étroitement associé à un fantasme égalitaire qui postule que le citoyen, bon de nature, saura oeuvrer à l'avènement d'un monde meilleur.

De la même manière, appliquer le regard satirique de Zappa au triomphalisme Internet est un exercice révélateur. Les geeks de la Silicon Valley qui prédisent une démocratisation radicale de la culture et de la société par la grâce d'Internet ne sont que la banale réincarnation des hippies qui croyaient révolutionner le monde avec une fleur dans les cheveux. De nos jours, un Bobby Brown serait toujours aussi carriériste et la porno en ligne transformerait son ambiguïté sexuelle en pur délire. Joe's Garage, pour sa part, évoque avec une acuité saisissante plusieurs phénomènes contemporains: surveillance assistée par ordinateur, dissolution de la pudeur et de la vie privée, cybersexe (avec un robot gay).

Le Web 2.0 démocratise l'information, le savoir et la culture, dit-on. Sans doute, mais il démocratise aussi l'insignifiance: ces millions de blogues illisibles, de vidéos ineptes sur YouTube, d'articles superficiels signés par des amateurs dans Wikipédia... À l'instar du communisme, Internet dilue l'excellence dans un égalitarisme qui nivelle tout par le bas.

... mais la nausée devant la e-médiocrité

Le Web 2.0 nous rend libres, croit-on. Cet univers valorise l'individu et accroît effectivement notre espace de liberté, mais il encourage aussi le repli sur soi et de nouveaux esclavages: ces millions de gens qui se regardent vivre sur Facebook, qui draguent exclusivement sur Internet par peur d'une rencontre sentimentale tangible, qui s'expriment sur tout et sur rien, qui documentent leur vacuité en temps réel ou presque... Zappa, ce compositeur si avant-gardiste et très perfectionniste, aurait aujourd'hui la nausée devant la e-médiocrité.

Internet est une révolution, clame-t-on. Une révolution des communications, oui, mais pour le reste... L'utopie Internet a surtout donné naissance à des empires commerciaux d'envergure planétaire (au premier chef Google) qui n'ont rien à f... de l'amour universel: «They're only in it for the money», et ils profitent d'ailleurs de l'absence de régulation politique du cyberespace pour déborder largement de leur secteur d'activité (Google entreprenant de numériser le patrimoine littéraire, par exemple). Lorsque les corporations Facebook et Twitter seront cotées en Bourse (ça arrivera tôt ou tard), une nouvelle bulle technologique prendra de l'ampleur et la supposée «révolution» du Web 2.0 se transformera en tyrannie des actionnaires.

Bien que les citoyens se mobilisent très aisément sur le Web social et que l'information y circule de plus en plus rapidement, la société n'a pas évolué depuis 15 ou 20 ans, nos problèmes demeurent les mêmes: précarité et pauvreté, exploitation des faibles et arrogance des puissants, déstructuration de cultures et de peuples entiers, crises économiques et politiques, destruction irréversible des écosystèmes. Nous communiquons de plus en plus par bidules interposés, mais la société ne gagne pas en intelligence; Internet fragmente tout et nous laisse en déficit de sens. «Information is not knowledge / Knowledge is not wisdom / Wisdom is not truth», souligne un personnage de Joe's Garage...


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Jean-Sébastien Marsan - Journaliste indépendant, auteur de l'ouvrage Le Petit Wazoo: initiation rapide, efficace et sans douleur à l'oeuvre de Frank Zappa, éditions Triptyque, septembre 2010.